Opinion
Le compte à rebours a démarré

Vous rêvez des Fiji, ces îles paradisiaques situées en plein milieu du Pacifique Sud ? Cela tombe bien. Elles organisaient cette année la COP 23, la 23ième conférence des Nations Unies sur le climat, mais… à Bonn, en Allemagne. C’est donc en Germanie que débarque le 12 novembre l’équipe de la Fondation Solar Impulse, devant de magnifiques affiches d’atolls coralliens bardés de « Bula Vinaka », l’expression locale pour souhaiter la bienvenue.
Cela fait des semaines que nous organisons notre participation, avec un agenda de 17 interventions et 12 rencontres politiques en 5 jours. Cela me touche beaucoup de voir dans mon équipe cet engagement inconditionnel et ce bonheur de réussir tous les défis, de mettre sur pied les rencontres les plus improbables, d’inviter à nos évènements les personnalités les plus demandées. Les liens tissés avec le monde institutionnel, surtout onusien, et la Commission européenne ont donné sa crédibilité à la Fondation Solar Impulse. C’est ce que je cherchais déjà en 2002 lorsque j’ai initié le tour du monde en avion solaire : construire une plateforme pour faire passer mon message de solutions cleantech pouvant réconcilier écologie et économie.
À la COP, deux mondes se côtoient, le nouveau et l’ancien. Celui qui vit déjà dans la constatation que les énergies renouvelables et l’efficience énergétique représentent un courant irréversible, une révolution aussi spectaculaire que l’avènement du pétrole au 19ème siècle, et qui attire désormais la majorité des flux financiers ; et l’autre, qui tente de résister le plus longtemps possible, en se voilant la face, avec le risque de s’effondrer pour avoir manqué les opportunités de diversification industrielles. On se croirait revenu au temps de Kodak qui combattait l’avènement de la photographie digitale avant de faire faillite. Si cette asymétrie venait à s’amplifier, elle pourrait assécher les besoins en capitaux des tenants des énergies fossiles et être annonciatrice du plus gros crack boursier de l’histoire.
On parle ici évidemment de Donald Trump, tout en se rappelant que la mine de charbon la plus proche de Bonn n’est qu’à 50 kilomètres… Alors qu’en Arabie Saoudite, pays du pétrole, un énorme contrat vient d’être signé pour produire de l’électricité solaire à 1,8 cts le kilowatt/heure, soit le dixième du prix que nous payons en Europe pour notre facture d’énergie conventionnelle. Que de contrastes !
Encore davantage que de sale à propre, on parle du passage des systèmes énergétiques fermés à des systèmes ouverts, interconnectés entre production, stockage et consommation. Le futur va bien au-delà de l’énergie, puisqu’il concerne tout ce qui peut être fait par la technologie au service du domaine énergétique. La transition qui s’annonce est donc un bouleversement fondamental de l’industrie et du business. On le comprend mieux quand on sait que la Chine a déjà installé 400 millions de smart meters ! Et s’apprête à bannir les moteurs à combustion. D’où la place de l’hydrogène dont le World Council se réunit ici pour la deuxième fois. C’est certainement une manière d’accélérer le développement des voitures électriques tout en évitant les ennemis que ce sont fait les batteries. La pile à combustible, elle, s’attire les sympathies des pétroliers qui peuvent distribuer l’hydrogène dans les stations-services, des gouvernements qui peuvent plus facilement taxer un liquide que de l’électricité, et des utilisateurs qui n’ont besoin que de 2 minutes pour faire un plein de 600 kilomètres.
Une chose est certaine. On a lassé la population avec des changements climatiques qui restent intangibles, et même discutables pour beaucoup, au lieu de parler d’un effet plus immédiat du gaspillage énergétique actuel : la pollution de l’air qui tue 6,5 millions de personnes par an et coûte 3 trillions de dollars, soit 6% du PIB mondial. En ce sens, le développement d’énergies renouvelables, en plus d’être écologique, représente un espoir de prospérité, de stabilité sociale et de paix pour les pays les plus pauvres. 1,2 milliards de gens vivent sans accès à l’électricité, car trop loin des centres de production. Voilà un marché d’un trillion de dollars pour le solaire, la biomasse et l’éolien délocalisés. Les investissements nécessaires seront d’autant plus faciles à trouver si l’on arrête de quémander de l’argent à des donateurs en parlant d’un énorme problème qui coûte cher, pour au contraire parler d’opportunités d’investissements extrêmement rentables pour des investisseurs en quête de profit. Il faudrait changer le vocabulaire pour mieux convaincre.
Les politiciens les plus progressistes expliquent leurs recettes. L’Argentine a mis en place un programme d’état, et non de gouvernement, pour assurer la longévité de son engagement en faveur des énergies renouvelables malgré l’instabilité politique chronique. Cela en a permis l’adoption à une quasi-unanimité de tous les partis. Les pays scandinaves sont aussi des pionniers avec des buts ambitieux, tout comme le Royaume du Maroc qui s’est engagé à produire 52% de son énergie avec des sources renouvelables d’ici 2030. C’est une date que je préfère tellement à celle de 2050 qui est habituellement projetée comme une façon de repousser le problème à la génération suivante.
Le gouverneur de Californie, Jerry Brown, explique comment il a propulsé son état, septième économie mondiale, en tête de la lutte contre les changements climatiques. A la force du poignet, au prix d’une lutte sans merci avec les forces conservatrices ! Il a succédé à Arnold Schwarzenegger, qui me consacre une longue entrevue pour sceller une collaboration entre ma fondation et son organisation, le R20, qui regroupe les régions les plus actives dans le domaine. Il est amical, direct, rapide, surtout lorsqu’il dit à son chef de cabinet de prendre note qu’il vient d’accepter de devenir un parrain de mon action.
Rencontre après rencontre, conférence après conférence, je martèle toujours le même message : les solutions technologiques existent déjà aujourd’hui pour diviser par deux les émissions de CO2, et cela de façon économiquement rentable. Alors pourquoi ne sont-elles pas mises en œuvre, ou alors si lentement ? Parce qu’elles sont pour la plupart méconnues du public et des décideurs, enfermées dans des startups, des universités, ou même des grandes entreprises, sans que les gouvernements n’en tiennent compte pour établir les cadres légaux. On voit que l’innovation est poussée par des subsides, avec des brevets qui finissent on ne sait où, mais pas assez tirée par la nécessité d’en utiliser les fruits pour satisfaire des objectifs élevés. Voilà ce qu’il faut changer : encourager les gouvernements à adopter des politiques environnementales et énergétiques beaucoup plus ambitieuses, rendues possibles par la réalité de ce que les technologies propres et rentables offrent aujourd’hui, et arrêter les négociations a minima entre partis opposés et frileux. Une façon de promouvoir une croissance propre, bien préférable à l’actuel status quo sale, où le remplacement des vieux systèmes archaïques et polluants par des technologies propres et efficientes devient logique tout autant qu’écologique.
C’est dans ce but que j’ai créé l’Alliance Mondiale pour les Solutions Efficientes, dont l’assemblée constituante à lieu cette semaine à Bonn. La COP 23 a inscrit l’évènement dans l’agenda officiel. Sur les 460 membres que nous comptons déjà, 150 ont fait le voyage, depuis les quatre coins du globe. La salle est archi-comble. L’équipe a mis l’eau à la bouche des institutions avec une brochette d’invités exceptionnels représentant l’ONU, la Banque Mondiale, l’Agence Internationale des Energies renouvelables, la Commission Européenne. Des semaines de démarches qui finissaient souvent par un appel personnel pour donner le dernier coup de pouce. Et Albert de Monaco qui fait spécialement l’aller-retour par amitié. C’est impressionnant de réunir autant de monde pour « l’après Solar Impulse ».
Au-delà des discours officiels, l’émerveillement des membres de l’Alliance ne passe pas inaperçu. Ce sont pour la plupart de jeunes entrepreneurs qui ne vivent que pour développer leur start-up et leurs inventions. Il y a tellement d’espoir dans leurs yeux, tellement d’émotion de se retrouver ensemble sous le feu des projecteurs. Ce sont eux les héros du futur. Rien que pour cet instant je suis heureux d’avoir créé cette Alliance.
La clôture est une explosion de joie. Le Prince Albert, comme parrain, lance le compte à rebours : 384 jours pour remettre nos 1000 solutions aux gouvernements en décembre 2018, pendant la COP 24. Debout, les membres accompagnent la violoniste chinoise Zhang Zhang qui nous offre un endiablé « Final Count Down ». C’est le dernier moment d’euphorie avant de tous nous remettre au travail pour le nouveau défi : mille solutions pour protéger l’environnement de façon rentable.
