Opinion
Peur sur la ville
Si l’on considère l’augmentation de la population mondiale et l’évolution prévisible de l’exode rural d’ici 20 ans, on estime qu’il sera nécessaire de construire tous les quatre mois une ville d’une taille équivalente à Manhattan !
Cet ordre de grandeur astronomique risque d’annihiler les efforts environnementaux réalisés dans les autre secteurs. C’est une raison supplémentaire pour décarboner l’industrie du bâtiment, mais aussi un élément de réponse pour comprendre l’affolement des spécialistes du domaine qui ne savent pas par où commencer.
À force d’utiliser les mêmes manières de construire, on tend à oublier qu’il en existe d’autres, qui sont bien plus efficientes et beaucoup moins chères. On peut alors choisir de se lamenter et d’essayer de résister au changement le plus longtemps possible ou, au contraire, de chercher son intérêt économique dans la nouveauté et évoluer.
C’est dans cette optique qu’au début de la deuxième semaine de la COP 27, ma Fondation Solar Impulse a annoncé officiellement la publication de son Guide de Solutions pour les Villes. Cet ouvrage vise justement à débloquer le potentiel des agglomérations, en se basant sur des exemples concrets, où des technologies propres ont contribué à résoudre des défis importants. Il identifie également les obstacles qui freinent l’adoption des solutions à grande échelle et oriente les décideurs pour les aider à surmonter ces obstacles.
Ces solutions comprennent par exemple du béton utilisant 100% de gravats de démolition recyclés, des panneaux d’isolation à base de biomasse, des vitres capables de réguler la température des batiments, le recyclage des eaux grises, la connexion des véhicules électriques au réseau, des pompes à chaleur géothermiques utilisables en ville, ainsi que des systèmes de gestion optimisée de l’énergie.
Les villes sont responsables de 75% des émissions globales de CO2, mais il faut rappeler qu’elles génèrent aussi 80% du PIB mondial. Face au changement climatique, leur pouvoir décisionnel est donc majeur. Premières génératrices d’activités économiques, elles sont en effet bien placées pour exploiter toutes les opportunités de la transition écologique.
Ce raisonnement vaut-il également pour les pays du Sud, si fortement représentés à cette « COP africaine » de Sharm el Sheikh, quand on sait que les villes d’Afrique et d’Asie du Sud-Est émettent annuellement environ 1,5 tonne de CO2 par habitant alors que les villes européennes en émettent 5 et les villes des États-Unis et de l’Australie 15 ?
On peut donc facilement comprendre la frustration des régions les moins développées auxquelles on demande des efforts, mais c’est pourtant bien là que la plupart des nouvelles constructions se produiront. En construisant selon les vieilles méthodes inefficientes, on ne fera qu’aggraver le problème.
Pour bien apprécier l’ampleur du défi auquel ces pays sont confrontés, il nous faut absolument tenir compte de l’ascension vertigineuse des besoins de la population et de la dépendance entre les différents secteurs. Ces dix dernières années, la demande en énergie des pays africains a augmenté d’un tiers et la demande de fuel pour le transport a fait un bond de 50% !
La réponse à ce dilemme doit faire appel au bon sens autant qu’à la technologie : la première chose est de ne pas répéter les erreurs commises par les pays du Nord, et miser dès le départ sur des projets modernes, efficients, rentables et décarbonés, puisqu’ils existent et permettent de réduire la facture énergétique des habitants.
Il est donc urgent de faire connaitre ces solutions. En consultant le Guide des Villes, les ministres et autres décisionnaires que j’ai rencontrés m’ont avoué ne pas être conscients de l’existence de ces possibilités, ce qui montre l’ampleur du travail de communication qui reste à faire.
Cette journée a pour moi une saveur particulière, car la COP 27 a choisi comme thème officiel, pour la première fois de son histoire, celui des solutions. Tous les acteurs en ont besoin, et les villes encore plus que les autres.