Opinion

La biodiversité, le capital oublié

17 novembre 2022 par Bertrand Piccard

Pendant trop longtemps, la biodiversité a été la sœur mal aimée et souvent ignorée de la crise climatique. Cela s’explique en partie par le fait qu’il existe des solutions techniques concrètes et alignées sur les notions d’économie de marché pour lutter contre les changements climatiques, alors que la biodiversité sera davantage protégée par des changements de comportement engendrés par des règles et des législations contraignantes. 

Il y a aussi la perception - erronée - que la biodiversité reste le domaine des « éco-romantiques », de ceux qui croient qu’il ne faut pas toucher à la nature car elle ne rentre pas dans le cadre de l’économie « réelle ».
 
Cet écart d’attention entre deux thèmes qui sont finalement les deux faces d’une même médaille - la transition écologique - est d’autant plus surprenant que l’analyse récente des Limites Planétaires publiée par le Stockholm Resilience Center montre clairement que la perte de biodiversité est encore plus critique que celle du réchauffement climatique et que leurs causes sont liées. On peut toutefois espérer qu’une entente historique sera signée à Montréal dans quelques semaines, et que celle-ci sera pour la biodiversité ce que l’Accord de Paris a été pour la crise climatique.
 
Cris d’alarme injustifiés ? Défaitisme exagéré ? J’invoque souvent le fait que la protection de l’environnement est une formidable fenêtre d’opportunité de développement économique et que les solutions existent pour s’en saisir. Toutefois, c’est une fenêtre qui se referme rapidement et si nous n’agissons pas de manière décisive, je crains que cela ne soit bientôt plus le cas ; il n’y aura en effet plus rien à développer.
 
Invisible et tenue pour acquise, la défense de la biodiversité est essentielle à cet égard, car elle soutient l’ensemble de notre système économique. Les scientifiques estiment que la valeur économique des services écosystémiques mondiaux, dont la grande majorité n’est pas réellement prise en compte, est comprise entre 120 et 140 mille milliards de dollars par an, ce qui est énorme par rapport à la valeur totale de l’économie mondiale qui ne se monte « qu’à » environ 94 mille milliards de dollars en 2021. Nous devons donc nous assurer que le véritable coût d’utilisation de ces ressources soit pris en compte dans notre système économique.
 
Pour ce faire, je voudrais insister à nouveau, en cette journée de la biodiversité à la COP27, sur le fait qu’il est fondamental d’appliquer ici également le concept d’efficience : obtenir un résultat supérieur en consommant moins de ressources est la meilleure manière de rendre la protection de l’environnement économiquement rentable. Les écosystèmes seraient en bien meilleure santé si nous les sollicitions moins - et les technologies existent pour nous permettre de le faire.
 
Les solutions techniques ne seront cependant pas suffisantes sans modifications profondes du cadre législatif et réglementaire, dont on a pu voir les effets bénéfiques dans d’autres secteurs lorsque ces législations se modernisent pour réellement accélérer la transition. Ce qui vaut pour l’énergie, la mobilité, la construction vaut également pour la biodiversité.
 
Mais il faudra avant tout en finir avec l’hypocrisie actuelle qui consiste à critiquer la déforestation et la pêche illégale tout en continuant à en acheter les produits, tels que le soja et l’huile de palme, qui proviennent de ces mêmes pratiques destructives des écosystèmes. Cela, sans compter les intérêts commerciaux contradictoires. Il suffit de se rappeler qu’un ancien premier ministre français a refusé de recevoir le chef amazonien Raoni à Matignon car il essayait au même moment de vendre des avions de chasse au Brésil…
 
Sans oublier le bon sens pour aborder la situation de manière un peu plus logique. Même sous l’angle de la doctrine capitaliste, la façon dont notre monde détruit le capital naturel, et s’appauvrit en conséquence, est incompréhensible. Nous ne sommes pas dans du capitalisme, mais dans de l’égoïsme à court terme. Il est temps que nous exigions tous la pose de garde-fous. Le lendemain de notre dépassement de 8 milliards de personnes sur la planète, dont la grande majorité aspire très justement à améliorer son niveau de vie, il n’y a pas d’autre option que de recentrer notre économie sur notre capital, naturel, celui-là.

Publié d'abord dans La Tribune et Le Temps
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