Opinion
L’hydrogène doit être fédérateur
Depuis plusieurs mois, les pro et anti-hydrogène se livrent une bataille médiatique impitoyable. Solution miracle pour les uns, vaste supercherie servant les géants pétroliers pour les autres. Dans ce débat, les perdants sont le grand public, incapable de se faire une opinion, et l’Humanité, qui attend désespérément un substitut aux énergies fossiles.
Ce n’est pas un sujet sur lequel on peut se prononcer “pro” ou “anti”. L’hydrogène est un atome. Il est certaines choses que cet atome peut accomplir, d’autres qui sont impossibles. De cela, il faut comprendre qu’on ne résoudra pas la question de la transition énergétique en se focalisant uniquement sur la protection de l’environnement. Rien ne se fera sans y intégrer les dimensions industrielle, politique et même géostratégique.
Vu sous ces angles, l’hydrogène devient, bien plus qu’un carburant potentiellement propre, une solution capable de mettre tout le monde d’accord. En effet, si l’Europe se lance dans la course à l’hydrogène, c’est qu’elle pense avoir encore une chance de gagner cette bataille, après avoir quasiment perdu celle des batteries. Il s’agit là d’un immense potentiel industriel et autant de débouchés économiques, avec création d’emplois et stabilité sociale à la clé.
En offrant une plus grande indépendance énergétique, la production locale d’hydrogène vert prend aussi une dimension stratégique : une libération de la dépendance aux énergies fossiles provenant de l’autre bout du monde, au niveau national comme à l’échelle individuelle, car il est possible de produire de l’hydrogène chez soi à partir de ses propres panneaux solaires.
Reste à y intégrer tous les acteurs. Cela nécessite de comprendre les possibilités et les limites de cette technologie. Puisque l’hydrogène n’existe pas sur Terre à l’état natif, il doit être produit à partir d’autres éléments, ce qui consomme de l’énergie, contrairement au pétrole qu’on trouve déjà formé par la Nature.
Les espoirs se portent sur l’électrolyse
Aujourd’hui la quasi-totalité de l’hydrogène est dite « grise », car produit à partir de méthane, ce qui est peu coûteux mais engendre du CO2. Les espoirs se portent sur l’électrolyse, consistant, à l’aide d’un courant électrique, à décomposer de l’eau en hydrogène et oxygène. Si l’électricité provient d’une source renouvelable, l’hydrogène ainsi généré est quasiment propre, « vert ». Cette méthode est aujourd’hui plus chère que le reformage du méthane, mais les économies d’échelle et la baisse du coût de l’électricité renouvelable devraient rendre cet hydrogène compétitif d’ici dix ans.
Aujourd’hui en Suisse, un baril de pétrole à 60 dollars met déjà l’hydrogène propre sans aucune taxe au même prix que le diesel taxé. Pourra-t-on produire assez d’électricité renouvelable pour tout l’hydrogène “vert” dont on aura besoin ? Ce problème sera résolu si les capacités continuent à augmenter : l’UE veut multiplier par quarante la capacité de ses électrolyseurs d’ici à 2030. Et surtout si l’on réduisait l’incroyable gaspillage d’énergie dans tous les secteurs.
L’immense atout de l’hydrogène
L’efficience énergétique doit aller de pair avec l’électrification de la société. Si Solar Impulse a pu voler 43 000 km autour de la terre à l’énergie solaire, c’est que l’efficience était au centre de notre démarche. L’immense atout de l’hydrogène est de résoudre, par le stockage des énergies renouvelables, le problème de leur intermittence : on produit de l’hydrogène lorsqu’il y a trop d’électricité pour le restituer quand on en a besoin. Le rendement n’est pas optimal à l’heure actuelle, mais il est toujours meilleur que de perdre cette énergie.
Si on s’accorde sur l’utilité de l’hydrogène dans l’industrie pour la production d’engrais, en l’associant avec de l’azote, et dans les hauts fourneaux, pour produire de l’acier, les débats s’enlisent dès qu’on parle de mobilité. Il existe ici deux applications : l’hydrogène peut être transformé en électricité par une pile à combustible (PAC) et alimenter un moteur électrique, ou alors servir comme carburant dans un moteur à combustion. Chaque option présente des avantages et des inconvénients.
La pile à combustible n’émet que de la vapeur d’eau : ni CO2, ni NOx (oxyde d’azote). Son rendement (ratio entre énergie restituée et énergie fournie), atteint 45 à 60 %, soit bien plus que les 25 % à 30 % d’un moteur à essence.
Un moteur à combustion de l’hydrogène
Le moteur à combustion est vu comme le coupable de la pollution, alors que c’est en fait le carburant utilisé qui crée cette pollution. Aujourd’hui, on y brûle de l’essence ou du diesel, ce qui émet du CO2 et du NOx, mais on pourrait tout à fait utiliser de l’hydrogène et n’émettre aucun CO2. Il resterait des NOx qui peuvent être traités à l’aide d’un catalyseur. L’hydrogène ayant une capacité énergétique trois fois supérieure à celle du pétrole, un moteur à piston optimisé pour l’hydrogène aurait un rendement de 45 % à 50 % à son régime idéal, soit presque le double qu’avec du pétrole.
Si un consensus se dessine pour remplacer les moteurs à essence et diesel, les avis divergent sur l’utilisation de batteries ou d’hydrogène. Pour certains, la batterie et “ses quasiment 100 %” de rendement est bien plus adéquate que la PAC qui est deux fois moins efficiente. On pourrait donc imaginer des véhicules légers à batterie pour de courts trajets, et des véhicules lourds à hydrogène pour les longues distances, là où de grosses batteries seraient trop polluantes à construire et lourdes à transporter, avec des avantages en termes d’autonomie et de rapidité de recharge. Ceci s’appliquerait aussi aux domaines maritime et aérien.
Concernant le réseau de distribution, on peut résoudre le dilemme de “l’œuf et la poule”en construisant « tout le poulailler » d’un coup, sans attendre les subventions. En Suisse, des partenariats privés ont associé tous les secteurs pour fournir mille camions (Hyundai), les utiliser (supermarchés Migros et Coop) et les approvisionner en hydrogène (stations-service Avia, Agrola et Tamoil). La production par hydroélectricité garantit le même prix au kilomètre que le diesel. Ce type de système a également été mis en place à Paris par Air Liquide, fournisseur d’hydrogène, et la société de taxis Hype.
Une diversification pour l’industrie pétrolière
De quoi prouver que, si la batterie fait peur à l’industrie pétrolière, l’hydrogène permettrait à cette dernière de se diversifier plus facilement, en conservant une partie de ses infrastructures et en garantissant la survie de ses millions d’emplois, ce qui est un avantage fondamental.
Voilà pourquoi s’est créé le Conseil mondial de l’hydrogène : pour une fois, les intérêts politiques, économiques et écologiques peuvent converger. C’est en cela que l’hydrogène est capable d’accomplir un miracle!
Article écrit en collaboration avec Antonio Delfino, Chef du département de physique et de chimie, Michelin Recherche et Technique, Suisse. La version originale de ce texte a été publié dans La Croix. Lire l'original.