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Bertrand Piccard : Souvenirs et Héritage d’Apollo XI

20 juillet 2025 par Léon Pieyre

Interview de Bertrand Piccard, explorateur en série, psychiatre, et pionnier des technologies propres

Le 20 juillet 1969, Neil Armstrong et Buzz Aldrin devenaient les premiers êtres humains à marcher sur la Lune, ouvrant une nouvelle ère pour l’exploration et les rêves de l’humanité. Depuis, cette date symbolique est célébrée à travers le monde comme un hommage à l’audace et à l’ingéniosité. 

En ce jour si particulier, nous redécouvrons cette aventure mythique à travers la perspective de Bertrand Piccard, témoin émerveillé du lancement d’Apollo XI, et héritier de cette même soif d’aller plus loin, plus haut.

À travers cette discussion, nous revenons sur cette expédition extraordinaire, sur ce qu’elle a représenté pour l’humanité, mais aussi sur la mentalité pionnière qu'elle incarnait et qui devrait servir de modèle pour une action collective en faveur d’un avenir meilleur.



Bertrand, quels sont les premiers souvenirs qui vous reviennent quand vous pensez au lancement d'Apollo XI ? 

J'avais déjà vu Apollo VII, VIII, XIX et X décoller.  De plus,  j'avais rencontré la plupart des astronautes de la NASA; ceux du programme Apollo qui allaient voler et ceux des programmes Mercury et Gemini qui avaient déjà accompli leurs missions. Ces rencontres m'avaient procuré la vision d'une vie où les rêves deviennent réalités et où l'impossible ne l'est pas. Ça a complètement changé mon regard sur le monde. 

Le contact direct avec les astronautes de la NASA, mais aussi Wernher von Braun, patron du programme Apollo, était incroyable. Tous ces gens prenaient du temps pour répondre à mes questions et partager leur rêve et vision, alors que je n'avais qu'onze ans à l'époque. Ils n'étaient pas du tout des surhommes arrogants, mais des passionnés qui avaient envie d'accomplir ce qui n'avait jamais été réussi. 

Le soir avant le départ d'Apollo XI, Wernher Von Braun m'a demandé où je serais pour le décollage. Je ne savais pas encore parce que j'étais trop jeune pour aller dans le stand VIP. J'y avais été pour le décollage d'Apollo IX, mais ça avait fait des histoires parce que le directeur de la NASA n'avait pas pu faire entrer son fils. Ensuite, il m'avait vu sur les photos et avait demandé pourquoi moi j'y étais. Je ne pouvais donc pas retourner là-bas. 

Wernher von Braun m'a proposé d'aller avec son fils à un endroit parfait pour le décollage, encore plus proche de la fusée que le stand VIP. Comme ils partaient tôt le matin,  il fallait que je rentre avec eux la veille. Il m'a installé dans la chambre de son fils, qui était une suite ! Le lendemain à l'aube, son fils et moi sommes partis avec son chauffeur pour aller voir le décollage, c'était fantastique. 

J'ai passé la nuit dans la suite de Wernher von Braun le jour avant qu'il envoie la première fusée sur la lune; le rêve ultime de sa vie. J'avais été profondément touché par la manière tellement humaine dont cet homme avait pris soin de moi. En plus, j'étais aux premières loges pour assister au départ d'Apollo 11, qui reste pour moi, le plus grand exploit de l'humanité !



"Apollo XI était l'émerveillement du monde entier. Aujourd'hui, on a peut-être oublié cette manière de s'émerveiller pour quelque chose comme ça."

Au moment de l'alunissage, y'a-t-il un souvenir particulier qui remonte? Quelle était l'atmosphère générale qui régnait ? 

Au moment de l'alunissage, j'étais avec ma famille. Mon père, pendant ce temps, était sous l'eau dans son sous-marin en train d'explorer le Gulf Stream. Il passait au large du Cap Kennedy (lieu du décollage d'Apollo XI) !  

Juste avant l'alunissage,  un responsable de la NASA  a appelé ma mère pour l'informer que la sortie lunaire des astronautes serait avancée. Il fallait que nous allions tout de suite devant le poste de télévision. On a interrompu le repas, puis sommes rentrés tout de suite pour se mettre devant nos écrans toute la nuit ! 

Apollo XI était l'émerveillement du monde entier. Aujourd'hui, on a peut-être oublié cette manière de s'émerveiller pour quelque chose comme ça. À ce moment, les Américains étaient empêtrés dans la guerre du Vietnam et voulaient redorer l'image de leur pays. Il y avait donc beaucoup de communication autour du programme spatial et tout le pays vivait pour ça. C'était un émerveillement collectif.



"Après Apollo XI, je me suis dit : je vais être explorateur. Je veux ce type de vie."

Est-ce qu’Apollo 11 a marqué un tournant décisif dans la manière dont vous envisagiez votre avenir ?

Après Apollo XI, je me suis dit : je vais être explorateur. Je veux ce type de vie. Comme mon père, comme mon grand-père, comme les astronautes, explorateurs et pilotes pionniers de l'aviation que j'avais rencontré. J'ai fait la connaissance de  Charles Lindbergh au décollage d'Apollo XII. Jacques Mayol  était venu en vacances chez nous en Floride à cette époque-là. Ils m'ont tous profondément inspiré. 

Ce qui me déprimait un peu, c'est que j'avais l'impression que tout avait été fait. Armstrong et Aldrin avaient marché sur la lune. Dans mon esprit, il n'y avait plus de place pour l'exploration, Apollo XII a été un remake d'Apollo XI. Au décollage d'Apollo XIII, Il n'y avait presque personne. Le monde est très vite entré dans la routine de l'exploration spatiale. 

Je pensais qu'Apollo XI était l'apogée de l'exploration et qu'après il n'y aurait plus rien d'intéressant.  J'ai vite remarqué que je me trompais, mais c'était l'impression que j'avais. D'ailleurs, les Américains ont beaucoup diminué leur budget d'exploration spatiale par la suite. Apollo XVII était la dernière mission sur la Lune. La NASA a annulé les missions d'Apollo XVIII et XIX, ce qui a dû être une déception épouvantable pour les astronautes qui s'y préparaient. Ensuite, le focus a basculé vers le vol orbital, SkyLab et la navette spatiale.  Ce n'était alors plus de l'exploration, mais des expériences scientifiques. 



"Les astronautes étaient donc des techniciens parfaits qui savaient comment réagir dans toutes les situations."

Qu’est-ce qui vous a frappé dans la mentalité des astronautes et de scientifiques comme Wernher von Braun ?

La plupart étaient des pilotes d'essais qui étaient habitués à repousser les limites et mener à bien leurs tâches avec une extrême précision. Pour eux, il y avait peu de réelles émotions, mais un réel désir de prouver leur capacité à réussir des exploits inconcevables. C'est une caractéristique qui était saisissante. 

D'ailleurs, le premier qui a vraiment manifesté de l'émotion était Scott Carpenter. Il était le 4ème astronaute de Mercury et s'est émerveillé de la beauté de son expérience, mais a raté le point d'atterrissage de 400 kilomètres avant d'être sorti du programme spatial de la NASA. 

Je me suis dit que ce n'était pas pour les gens qui aiment contempler le cosmos. Un jour, j'ai demandé à Neil Armstrong s'il avait été préparé psychologiquement à réaliser le mythe ultime de l'humanité qu'était d'aller sur la lune. Surpris, il m'a répondu que personne ne lui avait jamais posé cette question. L'aspect psychologique n'était pas abordé ! 

Les astronautes étaient entraînés pour une mission et devaient l'accomplir correctement. C'était aussi une manière de rester pragmatique. Lorsqu'on est entraîné comme pilote d'essai, on flirte avec la limite en permanence et on doit toujours faire tout juste. Les astronautes étaient donc des techniciens parfaits qui savaient comment réagir dans toutes les situations.



Pensez-vous que cette volonté de repousser sans cesse les limites contribuait aussi à inspirer l’humanité ? 

Il y avait beaucoup d'ambitions personnelles, ce qui est normal puisque c'est aussi cette ambition qui tire vers l'avant. En revanche, je me suis toujours dit que les astronautes avaient les micros du monde entier devant la bouche mais ne passaient pas de message sur l'environnement, les droits humains, les droits sociaux. Il y a pourtant tellement de messages à faire passer. 

Je me suis toujours dit que si j'avais les micros du monde entier, c'était aussi pour passer un message, pas simplement pour parler de ma préparation pour la mission. 



"Comme toujours, il faut des pionniers pour commencer avant que l'industrie ne reprenne le flambeau."

Ce manque a-t-il, selon vous, influencé la perception de la recherche spatiale par la suite ?

Je ne pense pas que ce soit la cause de l'interruption de l'exploration spatiale. Comme toujours, il faut des pionniers pour commencer avant que l'industrie ne reprenne le flambeau. Jusqu'en 1970, les astronautes étaient des véritables aventuriers.

 Ensuite, c'est devenu de l'industrie : les fusées sont envoyées pour poser des satellites, faire des expériences scientifiques ou médicales, mais plus pour achever l'œuvre d'un pionnier d'exploration. Cependant, la science et la technologie qui sont liées à l'évolution de la recherche spatiale viennent d'abord de l'aventure d'un pionnier. 



"Le niveau de risque qui était accepté à l'époque, où tout était mécanisé, n'est plus acceptable maintenant, alors que tout est digitalisé."

Aujourd'hui, quand vous regardez les projets entrepris par la recherche spatiale, est-ce que votre admiration pour l'exploration spatiale a changé par rapport à celle qu'elle était pendant le programme Apollo ? 

Ce qu'il se passe maintenant ne m'intéresse pas beaucoup. Ce que font les touristes ou passagers des vols suborbitaux était déjà fait par Alan Shepard et Gus Grissom en 1962. Nous n'avons donc pas évolué. De nos jours, la Lune n’est plus un objectif d’exploration, mais de commercialisation. C'est une expérience magnifique pour ceux qui y vont, mais ce n'est pas un apport pour l'humanité. Retourner sur la lune serait un "remake", mais l'on n'arrive pas à le faire ! 

Le niveau de risque qui était accepté à l'époque, où tout était mécanisé, n'est plus acceptable maintenant, alors que tout est digitalisé. Les Américains n'arrivent pas à retourner sur la lune alors qu'ils ont quand même fait alunir six missions  (Apollo XI, XII, XIV, XV, XVI et XVII). Paradoxalement, le niveau de risque n'est plus acceptable aujourd'hui. Les technologies étaient pourtant beaucoup plus simples, mais aujourd'hui, nous compliquons tout et n'y arrivons pas. 

Les trois quarts de l'humanité n'étaient pas nés en 1969. Celui qui retournera sur la Lune sera perçu comme un premier, alors qu’il sera en réalité le treizième. Maintenant, je me dis que si on allait sur Mars, nouvelle exploration, je trouverais ça captivant. Je ne me lèverais pas la nuit pour regarder un homme remarcher sur la lune en direct, mais si c'était pour Mars alors je recommencerais à vibrer énormément. 



À l’époque, la technologie était bien moins avancée qu’aujourd’hui. Pensez-vous que l’état d’esprit des acteurs du programme Apollo nous permettrait de mieux exploiter les outils dont nous disposons actuellement ?

J'ai l'impression qu'aujourd'hui les astronautes n'ont pas tellement droit au chapitre. Aujourd'hui, ce sont les grandes industries, les gouvernements, et ceux qui votent les budgets qui ont le véritable pouvoir. De nos jours je pense que les Américains et L'Europe n'avancent pas beaucoup contrairement aux Chinois. 

Je pense que ce sera un Chinois ou une Chinoise qui retournera sur la lune avant les Américains, parce qu'ils savent que c'est un enjeu national, ce qui n'est plus le cas aux États-Unis. 



"Si l'on massacre cette planète et menons l'humanité à l'abri sur un autre monde, l'humanité va démolir les autres planètes successivement. Nous ne faisons que repousser le problème."

Mettons cette question dans le contexte de ce qui est fait au sein de votre Fondation Solar Impulse dans la recherche de solutions propres et efficientes.  Est-ce qu'une mentalité plus axée vers un projet commun, semblable à celle du programme Apollo, manque aujourd'hui dans ce domaine-ci? 

Je trouve qu'aujourd'hui, atteindre un but environnemental majeur sur cette planète manque complètement. Quand je vois que certains milliardaires veulent peupler d'autres planètes pour mettre l'humanité à l'abri si la Terre devenait invivable, j'ai l'impression que le monde marche sur la tête. 

Ce qu'il faut aujourd'hui est de faire en sorte que la Terre reste habitable. Si l'on massacre cette planète et menons l'humanité à l'abri sur un autre monde, l'humanité va démolir les autres planètes successivement. Nous ne faisons que repousser le problème. 



Globalement, nous voyons une expansion de l'influence du secteur privé dans la recherche spatiale ou plus généralement dans l'avancée technologique. Est-ce une voie à suivre ? 

Nous sommes de plus en plus dans l'action privée parce que les gouvernements n'ont plus le budget. Par conséquent, il n'est pas exclu que la prochaine fusée qui ira sur la lune soit une fusée privée si elle est américaine. Les Chinois ont des budgets nationaux presque illimités. 

Nous considérons maintenant l'espace comme un intérêt industriel. Il est donc vrai que ce n'est pas le rôle des gouvernements de mettre des satellites économiquement rentables pour la télécommunication ou l'observation en orbite mais celui de l'industrie privée. Encore une fois, Le pionnier ouvre la voie, puis l'industrie prend le relais et commercialise. 



Apollo XI a été l'un des plus grands accomplissements humains et technologiques du XXe siècle. Que devrait être L'Apollo XI du XXIe siècle d'un point de vue global ?

Pour l'exploration spatiale, c'est Mars. Maintenant, le "moon-shot" dont tout le monde a besoin est de concilier innovation et humanité pour offrir à tous une vie digne, durable et inspirante. Sur le plan climatique, de la gouvernance, de l'éducation et de la santé, il y a beaucoup à faire !


Le prochain projet de Bertrand Piccard : Climate Impulse

Les solutions de la fondation solar impulse

Le nouveau programme d'exploration spatiale de la NASA

 
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